jeudi 26 juin 2008

Lettre à l'absente

Ce soir, j'en ai gros sur la patate. Je ne sais pas pourquoi je viens écrire ça ici, comme si ça t'était adressé. Probablement que ça l'est, oui, quelque part, au fond. J'aurais eu envie de pouvoir en parler à quelqu'un, à toi peut-être, ou du moins à celle que tu aurais dû être, ma mère. Nous n'avons jamais su communiquer...
Et aujourd'hui, une fois de plus, le manque est là. Le manque d'avoir des parents dignes de ce nom.
Entre un père qui met les voiles avant ma naissance et une mère castratrice, comment faire pour trouver un équilibre ?
Je me sens constamment sur la corde raide, prête à tomber. Et j'ai d'ailleurs toujours cette envie de tomber. C'est comme un besoin viscéral de toucher le fond. Et ne plus jamais en remonter.
Mais j'ai une fille maintenant. Une merveilleuse petite fille. C'est elle qui me tire vers le haut, qui me fait avancer. Pour elle que je me bats et que j'essaie de m'en sortir. Mais ce n'est pas son rôle, elle n'a pas à faire ça, je n'ai pas à la poser en sauveuse de sa maman, je ne peux pas lui imposer ça.
Parfois, je la regarde et nos regards se croisent. Elle détourne vite le regard, elle fait semblant de faire autre chose, mais je vois bien qu'elle me regarde d'un air triste. J'essaie de sauvegarder les apparences, de lui montrer une maman en pleine forme, mais elle n'est pas dupe. Et je me dis qu'un jour, elle pensera peut-être les mêmes choses que moi de toi. Peut-être un jour me détestera-t-elle aussi...

Hier, elle a reçu ses résultats de fin d'année. Elle a bien réussi, elle passe en classe supérieure. Elle est 2ème de sa classe. Je suis fière d'elle, de mon bébé. Ma plus grande et ma seule réussite.
Et comme il fallait s'en douter, tu l'as appelée l'après-midi pour avoir ses résultats. Grand-mère attentive que tu fais là...
... mais quand elle t'a dit qu'elle était 2ème de sa classe, la remarque a vite fusé : "tu aurais pu faire un effort et être première". Et son sourire s'est effacé de son visage.
Je n'aime pas cette période de fin d'année scolaire, où l'on reçoit les résultats et où il faut forcément sortir premier de sa promotion. Je me revois à son âge, ton regard déçu et ta voix pleine de reproche parce que j'étais trop bête pour être première de ma classe. Non, il y avait toujours ce Cédric A. devant moi au palmarès, toujours avec son pourcent de plus que moi. Et il jubilait d'être premier et moi deuxième. Et je pleurais parce que ça voulait forcément dire que je n'étais pas assez bien à tes yeux.
"Que deuxième". Quelle honte.

Les reproches n'ont jamais cessé tout au long de ma vie. Je n'aurai jamais été à la hauteur de tes espérances.

Maintenant, tu ne fais plus partie de ma vie, mais ce poids du passé, je le porte encore tous les jours. Il est difficile de s'en défaire. Je ne réussis pas à me convaincre que tu avais tort, que j'avais tort également. J'essaie, j'y arrive parfois, mais je rechute souvent : ce n'est jamais assez. Je ne suis jamais assez bien, jamais assez forte, assez intelligente, assez belle, assez mince. Je suis même carrément grosse. Et pas baisable, il paraît.
Je me le suis pris dans la face 3 fois aujourd'hui : quand on a un excès de poids, on passe dans la catégorie des "pas-baisables". C'est ce que tu me disais déjà quand j'étais adolescente. Je n'étais pas grosse pourtant, à cette époque... J'avais de jolies formes, c'est tout... mais pour toi, j'étais horrible.
Aujourd'hui, ça continue. Ce n'est plus toi qui le dis mais des gens méchants, qui ne se rendent pas compte du mal qu'ils disent et qu'ils font, mais tant pis pour ma gueule. J'ai un problème de thyroïde, j'ai fait une dépression qui m'a fait prendre 20 kgs, je prends pleins de médicaments qui m'empêchent de perdre du poids comme je le voudrais, mais c'est bien fait pour ma gueule. Je suis trop grosse et pas baisable.
Ce n'est d'ailleurs pas "lui" qui dira le contraire, lui qui me respecte soi-disant trop pour me faire l'amour. Tu parles d'une excuse.

Toute ma vie, je me suis sentie moche. En grande partie, "grâce" à toi et à tes critiques constantes pendant l'enfance et l'adolescence. Tu ne m'as jamais appris à avoir confiance en moi.
Et si déjà, je ne réussis pas à plaire à ma propre mère, à qui d'autre le pourrais-je ?
Pas à moi, en tout cas.

Ce soir, une fois de plus, je me déteste.
Merci maman.

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