mercredi 12 décembre 2007

Everything changes

Un texto de toi hier qui commence par "mes deux chéries...".
ça fait bizarre de lire ça. Oh bien sûr, tu m'appelles souvent chérie ou d'autres petits surnoms stupides que je déteste, mais tu ne l'avais jamais écrit, même pas en texto. Et ça peut paraître con, mais... quelque part, ça m'a fait plaisir de lire ça...
Tu m'as appelée deux fois aujourd'hui, pour des broutilles, juste pour me parler et entendre ma voix. Depuis quelques semaines, tout va relativement bien entre nous et c'est tant mieux, mais je n'ai pas l'habitude et j'avoue que ça me déstabilise un peu. J'ai tendance à être sur la défensive, je m'attends à chaque instant aux mots qui me blesseront... mais ils n'arrivent pas.
Au contraire.
Pour la première fois depuis que j'ai quitté ta maison, tu me demandes si j'ai suffisamment d'argent pour vivre et nourrir ma fille, suffisamment pour boucler les fins de mois.
Je dois bien t'avouer que du temps de mon mariage, j'ai ramé à ce niveau plus que de raison : un mari qui dilapide tout son salaire, c'est sûr que c'est pas facile à gérer, mais jamais pendant toutes ces années, tu ne t'es souciée de savoir si j'avais à manger dans mon assiette les derniers jours du mois.
Depuis que j'ai quitté mon mari, c'est la même chose : je me retrouvais seule avec un enfant à élever mais jamais tu n'as posé la question.
Alors qu'est-ce qu'il se passe pour que tu te soucies de moi maintenant ?
Tout ça ne tourne pas rond.
Aurais-tu enfin pris conscience de tes erreurs et de tes lacunes ? Est-ce ta maladie qui avance et te fait prendre conscience que bientôt, tu ne seras plus là pour nous ?
Tu n'en parles jamais, de cette maladie, ou si peu... Il faut presque te tirer les vers du nez.
Je sais que tu vas bien, maman, mais... est-ce que tu pourrais vraiment me l'affirmer en me regardant droit dans les yeux ?
Lors de ma dernière visite chez toi, tu m'as demandé de passer l'aspirateur et de faire la vaisselle, choses que tu m'interdisais toujours de faire avant. Serait-ce devenu trop pénible pour toi ?
J'aimerais que tu me dises ce qui ne va pas, pourquoi tous ces changements, mais j'ai peur de t'en parler... Je sais que tu ne diras rien, que tu nieras, comme toujours. Tu n'as jamais admis tes faiblesses. Ton propre père disait souvent que tu mourrais debout. Et j'ai tendance à le croire.
Je pense que c'est à cause de cette maladie que je ne parviens pas à t'en vouloir et à te parler de tout ce qui ne va pas dans ma tête et dans ma vie. ça me fait mal de te dire ça mais tu es vraiment responsable de beaucoup de choses. Involontairement et inconsciemment bien sûr, je sais que ce n'était pas ton intention, mais le résultat est là. Malgré tout.
Je repensais hier à mon père. Je ne l'ai jamais vu, jamais connu ; pendant des années, tu n'as rien voulu me dire de lui. Je me souviens d'ailleurs que petite, tu m'avais affirmé qu'il était mort.
Je me souviens de nos visites annuelles au cimetière, sur les tombes de tes grands-parents, et de mes questions : "Et pourquoi on ne va pas sur la tombe de mon papa?". La réponse, toujours la même : "tu es trop petite".
Je ne comprenais pas : trop petite pour aller voir mon père, mais pas pour aller voir les grands-parents ?
J'ai insisté pendant longtemps pour avoir des réponses, jusqu'au jour où tu as craqué, m'avouant de ton regard noir qu' "il n'est pas mort, il est parti : il voulait un garçon et tu es une fille, il n'a pas voulu de toi et il est parti".
As-tu conscience du choc que j'ai ressenti à ces mots ? As-tu conscience du mal que tu m'as fait pendant toutes les années qui ont suivi ?
C'était lourd à porter, toute cette culpabilité : j'étais une fille, j'avais fait quelque chose de mal. J'étais une fille, on ne voulait pas de moi, j'étais de trop.
As-tu conscience que si je me suis habillée comme un garçon pendant des années, c'était à cause de tes mots ? Peut-être suis-je bi maintenant à cause de ça ? Qui sait... Si j'avais été un garçon, j'aurais aimé les filles...
Je m'en suis voulue de vivre pendant trop longtemps, j'ai eu beaucoup de mal à assumer ma féminité, d'autant que pendant des années, tu m'as rabaissée constamment. Tu t'immiscais dans la salle de bain quand je prenais ma douche et tu inspectais chaque partie de mon corps : un bouton, dix grammes en plus, des fourches dans les cheveux, un ongle cassé. Tu ne ratais aucun détail. Et pendant des années, j'ai vécu tes intrusions dans la salle de bain comme des viols, chose qui m'a été confirmée plus tard par mon psy : dans le langage des psys, on appelle des viols psychologiques. Merci maman.
Je n'avais pas été assez bien pour mon père vu que j'étais née fille et là, je n'étais pas assez bien pour ma mère, elle me trouvait tous les défauts de la terre, je n'étais jamais assez parfaite à ses yeux. J'aurais tant aimé lire de l'amour et de la fierté dans ton regard...
Encore maintenant d'ailleurs... même si je peux aujourd'hui lire de l'amour dans tes yeux, ta bouche me dit souvent les mots qui blessent : "je peux une fois de plus être fière de toi", "tu ne réussiras décidément jamais rien", "sans moi derrière pour ramasser les pots cassés", la voix pleine de reproches et je ne sais même pas pourquoi : je ne considère pas avoir raté ma vie, même si tout n'est pas parfait. Oui, j'ai fait des erreurs, des mauvais choix, j'ai vécu de mauvaises choses, mais regarde ma vie aujourd'hui : je vais mieux et de nouveaux horizons s'offrent à moi... et ça, c'est pas grâce à toi.

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