mercredi 5 décembre 2007

Lève-toi et marche

Il m'aura fallu trois jours de solitude pour digérer trois jours avec toi, ces trois jours à tes côtés, ce w-end en famille.
C'est toujours difficile pour moi, même si les choses vont mieux entre nous. On ne se dispute plus comme avant, nos relations sont plus calmes mais nous ne parvenons toujours pas à vraiment communiquer. Et quelque part, ça me manque, maman.
J'aimerais tellement avoir une relation normale avec ma mère, ne pas avoir peur de te parler, te prendre dans mes bras, te dire que je t'aime. Et pourtant... je ne me rappelle pas l'avoir fait un jour. Je ne me rappelle pas un seul câlin, je ne me rappelle pas un seul "je t'aime". Ni venant de moi, ni venant de toi.
Tu n'as jamais su me le dire, me le montrer de la bonne manière et pendant longtemps, ça a fait de moi une handicapée de l'amour. Je crois d'ailleurs que je le suis encore.
J'essaie de ne pas reproduire les mêmes erreurs avec ma fille, je fais attention... mais à force de te prendre en contre-exemple, je passe ma vie à psychoter, avoir peur du faux-pas, avoir peur que ma fille ressente ce que j'ai ressenti si longtemps.
Je pense que je m'en sors bien : elle et moi avons une bonne relation, mais ce n'est pas grâce à toi. Quoique...
J'ai tellement peur de te ressembler que j'en arrive à faire l'inverse de ce que tu m'as appris... et pour le moment, ça marche, mais pour combien de temps encore ?
Au fond de moi, je sais que tu m'aimes, je le sais, rassure-toi. Je le sens malgré tout ce mal. Mais putain, qu'est-ce que tu t'y prends mal !
Oh je sais que ce n'est pas de ta faute. On ne t'a jamais appris non plus à montrer tes sentiments, prouver ton amour autrement que par les choses matérielles.
Prendre dans tes bras, faire des calins et dire "je t'aime", tu le fais maintenant avec ta petite-fille, tu tentes de rattraper le temps perdu, tu tentes de te faire pardonner à coups de cadeaux... mais le temps ne se rattrape pas, maman...
Je sais que tu as fait de ton mieux, je ne t'en veux pas pour ça, je ne t'en veux finalement pour rien du tout car je sais que tu pensais bien faire, mais malgré tout, il faut bien avouer que tu as tout raté.
Tu voulais faire de moi quelqu'un de bien. Je ne sais pas si je le suis. J'ai traversé tant de choses que tu ne sais pas.
Je suis souvent tombée, maman... et pas des meilleures façons qui soient... mais tu as quand même réussi à m'enseigner la ténacité et la volonté, cette capacité à se battre et se relever quoi qu'il arrive. Tu m'as aussi appris à mentir et me voiler la face. Voiler celle des autres aussi, maintenir les apparences, sourire devant les gens, jouer la comédie.
Grâce à toi, je suis devenue une très bonne menteuse. Mais Dieu que je déteste ça !
Pendant des années, je t'ai vue te faire massacrer par ton homme et te relever après les coups. Défigurée mais debout.
Je suis un peu pareille. Complètement cassée mais debout.
Lève-toi et marche.
Tu voulais faire de moi quelqu'un de bien. Je ne sais pas si je le suis, mais j'essaie. Je me dis que peut-être un jour, j'y arriverai. Je m'accroche, tu sais... je ne fais plus que ça, m'accrocher... à des branches qui ne cessent de se briser les unes après les autres.
Et j'affiche toujours ce sourire, je ris devant les gens, je sors, je bois, je danse... Foutaises !
Derrière le masque, le clown pleure.
C'est d'ailleurs bizarre, j'oscille entre un trop-plein de volonté, une rage de (sur)vivre, une ténacité à toute épreuve et ces moments où je lache tout, je sombre, je suis incapable de m'en sortir.
En ce moment, je touche le fond. Je le cache aux autres, je tente de ne pas le montrer, mais je sens que la dépression reprend le dessus. J'alterne les moments de grande euphorie et les moments de grosse déprime, ça varie parfois d'heures en heures et ça m'épuise.
....
Mais jamais tu ne me demandes comment je vais. Jamais tu ne t'intéresses à moi, à ma vie, à ma santé, à mon état mental. Tu sais pourtant que je suis en dépression depuis 3 ans. Tu sais pourtant que je vais voir un psy deux fois par semaine. Tu sais pourtant que je suis noyée sous les anti-dépresseurs et les anxyolitiques. Mais tu te voiles la face : ma fille sourit, elle va bien.
Mon cul, oui !
Comment est-il possible de démissionner à ce point ? Comment est-il possible de laisser son enfant sombrer et descendre si bas ? Comment peut-on lui dire qu'on n'est pas responsable, que sa dépression, c'est juste une excuse pour foutre la merde ?
Je n'oublierai jamais tes mots. Ni ton regard méprisant ce jour-là.
Je n'ai jamais voulu foutre la merde entre lui et toi, maman. Jamais ! Au contraire...
Je sais le mal qu'il peut te faire, la violence dont il est capable et je suis loin de vouloir que ça recommence. Mais j'ai besoin de m'en sortir, j'ai besoin de respirer enfin, j'ai besoin de vivre et pour ça, il me faut mettre des mots sur les maux, il me faut régler certains comptes, remettre les responsabilités à leur place, arrêter de culpabiliser.
Ce n'est pas moi qui t'ai battue toutes ces années, ce n'est pas moi qui t'ai quitté alors que tu étais enceinte, ce n'est pas moi qui t'ai viré de ton dernier emploi, ce n'est pas moi qui suis responsable des disputes avec tes frères et soeurs, ce n'est pas moi, ce n'est pas moi !
Depuis ma naissance, j'ai toujours été coupable de tout. Tu m'as toujours tout reproché : le départ de mon père, la violence de mon beau-père, les disputes familiales...
Tu as toujours réussi à me culpabiliser :
Selon toi, je ne travaillais pas assez bien en classe. J'étais pourtant 2ème de classe avec une moyenne de 96%...
Selon toi, j'étais nulle au piano. J'étais pourtant 2ème de ma promotion "avec grande distinction" et mon prof de piano a pleuré quand j'ai arrêté les cours car il me voyait déjà grande pianiste...
Selon toi, j'étais trop petite, trop grosse, pas assez jolie. Tout le monde me disait pourtant très jolie... et quand je regarde les photos de moi enfant, je me rends bien compte que je n'étais pas tout ce que tu me disais.
Selon toi, j'ai raté ma vie en arrêtant mes études, en épousant cet Africain qui allait profiter de moi et de mes papiers pour m'abandonner ensuite, pour faire cet enfant. Mais vas-y, maman, vas-y ! Regarde "cet enfant" dans les yeux et dis-lui que sa mère a tout raté, dis-lui qu'elle est une erreur, dis-lui qu'elle est ratée et que tout est de sa faute ! Vas-y, culpabilise-la, elle aussi.
Tu as pleuré pendant une semaine quand tu as appris que j'étais enceinte et que j'allais épouser un Noir. Pour toi, je foutais tout en l'air... C'est pourtant lui qui m'a sauvée. Bien plus que tu l'imagines.
Et ce qui est marrant, c'est que tu as tout fait, pendant 7 ans, pour massacrer mon mariage, casser du sucre sur le dos de mon mari... et quand je l'ai quitté, en grande partie par ta faute, après 7 ans de vie commune, tu as encore réussi à me dire que "décidément, je ratais tout".
Pour toi, mon mariage avait été une erreur, mais mon divorce en était une bien plus grande.
Qu'allaient bien pouvoir dire les voisins, la famille, les amis ? Quelle honte sur toi de devoir annoncer que ta fille divorce ! J'allais être la cible des moqueries, c'est sûr... et toi aussi, par la même occasion.
Mon échec, c'était le tien : j'avais arrêté mes études, fait un bébé à 20 ans et maintenant, je divorçais, tu avais donc raté mon éducation, je n'étais pas la "fille bien" que tu avais souhaité.
Tu me le reproches d'ailleurs assez souvent : "je ne t'ai pas élevée comme ça"... Oh ben non, c'est sûr ! Si je devais vivre comme tu m'as élevée, je me serais tirée une balle depuis longtemps, maman ! Ou alors je serais une personne mauvaise et acariâtre, coincée dans des schémas qui ne me correspondent pas.
Je vis ma vie comme je l'entends et ce, même si ça te dérange. Et je ne regrette rien. Même si j'ai connu le pire.
Je sais que je te déçois beaucoup, tu me le répètes assez souvent, mais sache que malgré toutes les merdes que j'ai traversées, je suis fière de mon parcours : J'ai traversé les pires choses dans ma vie, mais comme tu me l'a appris, je suis toujours debout, je me relève.
Finalement, tu devrais plutôt être fière de moi, tu crois pas ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Kikou

Mais comment as-tu deviné ma vie ?
Comment as-tu deviné comment était ma mère.
Comment as-tu deviné la souffrance que j'ai enduré et que j'endure encore plus aujourd'hui ?
Gwen